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Eh ouais mais mon con (comme dit le plombier de mes parents) tu vas l’avoir dans l’os (ça aussi c’est le plombier de mes parents). Je pourrais presque bloquer la balle dans mes deux gants, l’immobiliser, la couver de mon corps, la cajoler comme Chocolat ce matin. L’insulte suprême. Je joue à mon tour la sécurité, je boxe en corner.
Une parade spectaculaire, deux trois interventions décisives, un pénalty, un bol comme ça, je devrais m’inquiéter, ça ressemble à une chance de cocu comme dit le plombier de mes parents, qui décidément est partout.
Un pénalty raté, ça ne change pas le tableau d’affichage, mais ça bouleverse la physionomie de la partie.
Coup double.
 
Le plus grand ennemi du gardien de but est l’axe Z. La troisième dimension. Ce phénomène, entre nous, est complètement gommé des données du problème à la télévision, objet bidimensionnel par excellence. En photographie, on appelle ça la profondeur de champs. Un bon photographe cherche et surtout trouve le plan focal adéquat pour faire ressortir le détail à mettre en valeur. Par exemple l’entière iconographie de mon enfance n’est qu’une litanie de focale sur le nez. Un portrait à focale sur le nez fait ressortir le museau du mis en boîte, son côté bovin, pâteux, ce pouvoir d’inertie qui nous habite tous à plus ou moins grande échelle. Découper la vie en tranche, et choisir la plus esthétique, voilà le fond de commerce d’un photographe.
Si l’on revient au problème de trajectoire d’un ballon en chandelle flottante dans la surface de réparation on peut (aisément) discerner trois types de gardiens de buts. Les bons, fractions infinitésimales, des êtres vivants avec sur le nez ces lunettes bleue et rouge qui font voir la vie autrement. Ils ont cet instinct de chasseur qui comprend, qui intègre en quelques chouillièmes de secondes dans quel plan se trouve l’objet du désir. A chaque instant. Lapin pour le lynx, libellule pour le caméléon, ballon pour le goal. Il dirige ses mains en bonne accordance avec la mire qu’il a dans la tête et intercepte l’objet. Il y a les anxieux, qui, peur d’être en retard, peur de n’être pas où il faudrait être, peur tout court, ont quelques plans d’avance et se font lober que s’en est risible. Parce que, oui, un peu de retard ou d’avance font de vous un maladroit pantin qui gesticule dans l’air, battant le vide de gants trop grand, un bouffon, un guignol. Adieu gloire, effets spéciaux, élégance et tout le toutim.

Et puis, à peu près à même quantité, il y a les lents, les ouais, on y va, qui, quelques plans de retard plus tard, se rendent compte que rien ne sert de sauter il faut partir à point. Je fais parti, alternativement, de la deuxième et troisième catégorie. De manière tout à fait sporadique et aléatoire, pourtant, il m’arrive de recoller un instant au groupe des cadors. Je raconte tout ça parce que justement un de ces ballons flottants à la trajectoire erratique vient d’être propulsé, en une longue chandelle, vers ma surface de réparation. Deux de mes défenseurs et trois attaquants, hyènes à l’affût, viennent se placer au point vraisemblable d’intersection du ballon avec l’axe des abscisses, le sol. Cette problématique est évidemment une intégration de la troisième et de la quatrième dimension, le temps. Et puis aussi d’une pincée de frottements, j’ai nommé tous ces bras et jambes qui vous empêchent d’atteindre le bon plan de focal, au bon moment. Compliqué tout ça. Garder la focale, les pieds sur terre, un œil sur la grosse brute d’avant centre et sur votre stoppeur qui arrive  alors qu’on l’a pas sonné du tout. Un ballon dans une surface de réparation pourrait correspondre en un sens à l’augmentation de la chaleur dans une réaction chimique. Des molécules qui se prélassaient dans un tourbillon Brownien et langoureux se secouent et s’agitent jusqu'à rencontrer quelques comparses et réagir. Ce phénomène d’augmentation de la probabilité de rencontre est également le fond de commerce des boites de nuit. Ici, la présence du ballon est tout à fait superflue, un parfum de patchouli sera bien plus efficace pour catalyser la transe. Mais pour revenir au football, le ballon dans la zone dangereuse agit comme un catalyseur. Les attaquants savent que l’occasion de se mettre en valeur ne se représentera pas de sitôt. Les défenseurs sont sur des braises ardentes, éloigner le ballon, éloigner le ballon à tout prix. Une frénésie s’empare donc de la population présente. Et moi, je reste avec mon problème de tranche de temps, de frottements et d’axe Z.

Normalement dans ces circonstances je ne bouge pas. Trop peur de perdre le ballon, la face, et le contrôle de la situation. Je laisse mes gorilles passer en première ligne, faire le ménage, en espérant récolter la balle comme une prune mure après que l’arbre a été secoué comme il se doit. Je le sais, personne, après un combat aérien, ne se retrouve les pieds dans la gadoue avec une idée, même vague, de sa position relative au but et au ballon. C’est à moi, dans cette fraction du temps, de tirer le marron du feu.
L’affaire se présente bien, c’est le chaos le plus total dans les airs et les esprits. On tire des maillots, ceinture des tailles. Voilà le cuir qui virevolte et rebondit sur le sol.

Maintenant.

Je roule sur la balle, la protégeant de mon corps, et, décidément je suis verni aujourd’hui, reçois le coup de pied maladroit du fébrile, du lent, qui croyait en sa chance au moment où elle disparaissait avec mon corps en paravent.

Coup de sifflet strident. Le gardien de la Loi intervient.  Coup franc. Quelle honte ! Frapper un gardien au sol. Même le carton jaune ne lave pas l’offense. Le pécheur se repend, contrit, vient à ma rencontre en me tirant du bras pour me relever. On fait moins le malin. Je savoure cet instant. Il y a un vainqueur et un vaincu. C’est clair et personne ne discute la décision.

Le beurre et l’argent du beurre. J’ai récupéré le ballon, je passe pour un martyr, le Sauveur, celui qui donne son corps pour le groupe, pour la victoire. C’est la définition du héros. A peu de frais, les coups pris dans une mêlée sont rarement puissants et dangereux si on peut se couvrir le visage. J’ai mis un peu de temps, à mes débuts, à saisir la manœuvre, mais une lèvre et une arcade ouvertes m’ont vite enseigné les bases. Trop de chance, mon garçon.  Faudrait que tout ça finisse au plus vite.

Vient alors une attente fébrile, je n’ai pas de montre, et je ne peux décemment pas demander toutes les cinq minutes au juge de touche combien de temps il reste à jouer.
C’est un moment étonnant fait d’espoir et d’angoisse. Ce match m’a apporté tout ce que je pouvais espérer, j’ai regonflé à bloc ma côte de confiance, j’ai au moins un ou deux mauvais matchs d’avance avant de retrouver les marais de la méfiance et du manque de confiance.
Un moment de plénitude gâché par les derniers assauts de l’équipe adverse qui maintenant se rue vers mon but, n’ayant plus rien à perdre. Je veux ma douche.

Vite.

 
 
 
 



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