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           Séga



 
 

Bamako 1958
 

J'étais la proie des femmes amoureuses. Amoureuses de la force de mes mains sur l'épiderme raidi du tambour.

J'étais le meilleur batteur, celui qu'on adore, le regard versé vers le son enchanteur.
J'ai gardé pour moi le pouvoir intérieur de mes mots, le secret de mon talent. Je me suis écouté, longtemps. Je suçais égoïstement les somptueuses mélodies de mes doigts magiciens. Je me pénétrais de mes accouchements harmoniques. J'avais capturé dans l'air châtié de mes gestes mes pensées égotistes.

J'étais emporté, trop aimé pour donner. J'étais le petit génie, l'enfant surdoué, le musicien choisi des dieux, le prédateur du malheur, l'annonciateur de joie, le marabout du temps, la pluie sur la terre, le fleuve dans les veines.

J'ai épuisé mes songes d'assonance pour peu à peu percevoir dans les yeux des autres le reflet vivant de mes prunelles noires. J'ai lu sur leurs visages l'étincelle imprimée de mes mélodies, fusion d'étoiles, éclipse d'amour.

L'écho des modulations que je créais faisait battre le coeur de mon pays.

Ma vie a accéléré la lenteur paresseuse de mon peuple.

Bamako m'a laissé sans alternative.

Alors j'ai tout donné, tout rendu. 
 

 



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