IV Alentours, tout est sombre et froid. Il semble que le soleil qui fut si violent n’ait plus la force de percer les nuées de poussières accumulées. Les pas craquent sous l’épaisseur de la terre sèche. Pas un bruit, un silence forcé habite tous les lieux traversés. Il y a eu des escaliers mécaniques couverts de verres brisés, des panneaux ne signalant plus que la fin de toute choses. Les pieds nus sur l’asphalte gelé. Il y a eu les absences d’eau et des trous béants à leur place. Rien au loin, rien si près, quelques soupirs de rouille, quelques crépitements de bois. Pour l’heure il est en mission et ça n’est pas pour faire semblant. Il ne sait pas vraiment ce qu’il doit ramener. C’est comme partir sans savoir où l’on va, les yeux fermés. D’ailleurs il aimerait mieux les fermer, les yeux. Pierre, la réalité, ça n’a jamais vraiment été son fort. Il avait accepté cette tâche d’abord parce qu’il était le plus jeune, il avait pris ce rôle comme on joue, une sorte de challenge un peu con, un jeu, oui, alors même que lui n’avait jamais voulu que vivre sur sa planète-plateau, ignorant le reste du monde. Il se demande parfois si ce n’est pas lui qui a provoqué la catastrophe, ça l’amuse presque de penser ainsi. Bref, le voilà héros malgré lui, à la recherche de je-ne-sais-quoi dans un monde mort en direction d’un ancien monde solitaire. Il se raconte en allant, sa propre histoire, il invente sa vie au fur et à mesure de sa marche. Il construit des univers, se nomme différemment. Il est superman, Batman, lastman surtout! Il enfile parfois des vêtements trouvés par hasard dans des boutiques délabrées, brisées. Les mannequins ont fondu, plus que le plastique en vitrine, plus de vitrine. Il faut tout imaginer pour continuer. C’est ça le chaos, ça permet d’inventer. Mais, bientôt il reviendra dans son pays, dans cet isolement souhaité avant, subi aujourd’hui. Cet endroit qu’il nommait île autrefois, bien que la mer fût loin. Cette fois, c’est bien une île, qu’il faut chercher, une boussole à la main et le regard fuyant les charognes et l’horreur. Marcher, avancer, chercher. Puis ayant accompli sa mission, ayant trouvé ce qui ne se cherche pas, revenir jusqu’à l’eau, jusqu’à l’aube, jusqu’au bord des oublis, près des vents, près des insectes bouillonnant, près de sa mère et près des autres. |
Épilogue Pendant ce temps, aussi inouï que cela puisse être, au village, la vie continue. Quelque part sur un plateau, la vie continue, à travers les jardins, les espaces immenses encore là, à travers les dissemblances, les marbres de Carrare, les grands lits d’amour, les beaux champs de sarrasin. La vie continue. Mais pour combien de temps ? Pour toujours dit Germaine, sans nous, mais pour toujours. Le vent souffle doucement, pour ne pas briser l’harmonie. Quelques nuages se pourchassent inlassablement. C’est ici le paradis, c’est ainsi peut-être qu’ils devraient renommer leur village. Mais ça sonne trop « bible » et ça ne plaît pas à Germaine, ça. Et puis d’abord, ils ne sont pas morts, ils n’ont même jamais été aussi vivants. Assise sur un promontoire naturel, le regard tourné vers le chemin qui mène au village, tout en laissant ses pensées penser n’importe quoi, Germaine guette. Les arbres à papillon papillonnent et bourdonnent à ses oreilles les faiseuses de miel. Ça chante partout, ça pépite, ça gazouille. Elle fait cela chaque jour, s’installer ici, depuis qu’il est parti. A heure régulière. Comme si un secret silencieux lui avait été confié : il reviendra et ce jour-là le soleil sera à son zénith. Jamais, pas une seconde, elle n’a cru qu’il ne reviendrait pas. Les autres non plus. Même Roger, au fond, allongé sur son transat, ne fait qu’une seule chose : attendre Pierre. Pas pour en savoir plus, pas pour apprendre d’ailleurs, mais simplement pour que tout le monde soit là. Puis c’est le moment. Quand enfin elle l’aperçoit, il y a une ombre derrière lui et ce n’est pas celle de son fils. Il n’est pas seul. ................................................................................ |
Quand enfin elle l’aperçoit, il y a une ombre derrière lui et ce n’est pas celle de son fils. Il n’est pas seul. De voir sa mère, Pierre sourit. De le voir, elle pleure. Des larmes chaudes qui glissent sans le savoir, des larmes qui s’ignorent. Et puis elle ne le regarde plus. Elle voit cette femme auprès de lui. Si grande, si fine. La main noire de cette femme, presque maigre, dans celle de son fils. Et surtout, Germaine, sourire naissant avec les larmes, prête à bondir pour annoncer la nouvelle, regarde et ne voit plus que ça : Son ventre, le ventre de cette jeune femme, celle qui arrive donnant la main à son fils, ce ventre là... est rond… |
Vos participations: |
TYDELA :2/11/2019Pierre fit un pas de côté et l'ombre avança dans la lumière, silhouette élancée. Roger se redresse dans son transat, Germaine s'arrête et scrute. Une femme! Une jeune femme, pleine de vie, la peau couleur chocolat, le regard brillant. " Maisha, dit Pierre, elle s'appelle Maisha, ce qui, en swahili, signifie "vie". "Germaine se demanda si elle connaissait les lavandes, Roger la trouva si jolie. Pierre passa son bras autour de sa taille et elle lui sourit. Le soleil était au zénith, un avenir naissait au paradis. Une nouvelle chance, la vie en couleurs. |
Cachou :10/11/2019Pierre parcourt en grandes mais calmes enjambées l'espace qui le sépare de son village, et peu à peu la silhouette qui le suivait se détache de l'ombre. |
Luciole Langevine:11/11/2019 Germaine a soudain la vue qui se brouille, le souffle suspendu. Est-ce possible ?!! |
Claude Hersant :13/11/2019 Pierre a hâté le pas dans la dernière partie de la route, et l'ombre derrière lui semble peiner à le suivre. Quand il aperçoit sa mère, il s'arrête, se retourne en s'écartant légèrement et laisse la silhouette approcher. C'est un très vieil homme, un peu courbé sur un bâton, fatigué visiblement mais déterminé. Germaine se lève dans un cri mais il l'arrête de la main et se retourne, en attente. Apparait alors un équipage étrange, deux très jeunes adolescents, des garçons, tirent par les brancards une carriole légère dans laquelle est assise une très jeune femme, enveloppée d'une cape couverture par dessus son jean fatigué. Elle tient un bébé dans ses bras. |
Henri :14/11/2019 Pierre conduit une forme qui étincelle au soleil, faite de métal, à la silhouette féminine... une androïde ! |
Thierry :27/11/2019 Quand elle voit le jeune homme, d'abord, elle n'y croit pas. Elle est sûre, pourtant, qu'il n'y a plus personne, elle le sait. Et pour cause. |
Nos écritures de femmes s'ouvrent toutes sur un avenir possible, un renouveau, avec la venue des enfants. Vos écritures d'hommes viennent se saisir différemment de cette histoire, lui donner une toute autre ouverture, et finalement c'est le passé que vous convoquez pour (peut-être) reconstruire l'avenir. Alors, serions-nous vraiment "genrés" ?! .... Contrariant, vous dis-je, contrariant !!!