A cette époque de l’année, tu le sais maintenant, tu me vois régulièrement occupé à concocter des tartes aux fraises, testant ma patience sur l’élaboration de la crème pâtissière dont les protéines ont cette sauvage habitude de coaguler à tout va. Je fais des tartes aux fraises en attendant Sandy, Irène, ou n’importe quel ouragan qui vient mourir sur les côtes nouvelles anglaises, éructant un dernier spasme de vents, de pluies et de coupures d’électricité. Mais là : rien. Je ne sais pas ce qu’ils foutent en Afrique, le balltrap est enrayé Ma deuxième occupation automnale consiste à installer mes tous petits dans leur Alma Mater, leur « autre mère ». Nan je n’ai pas divorcé, ça me dirait quelque chose, l’Alma Mater, c’est l’université. La voiture remplie de draps, linge, fan, oreillers, ordinateurs, nous voila donc sur la route, cap au sud pour participer à un événement 100% made in America : le Move-in Day, ou comment installer 1000 étudiants en une journée sur un campus qui ne contient que 300 place de parking. Il faut beaucoup de policiers, de gentilles volontaires mais il faut surtout être américain. Personne ne resquille, tout le monde suit les flèches, le mot d’ordre, d’un bureau à l’autre, de l’infirmerie aux dortoirs, c’est : tout va bien. L’organisation est au millimètre. J’étais donc là déambulant derrière mon fils qui semblait savoir où il allait, si nos enfants ne nous surprenaient pas ce serait lassant. Alors que nous nous dirigions vers l’infirmerie rapport à la paperasserie médicale, je tombe en arrêt devant le blason de l’université, avec force indien, sagesse aux yeux bandés, non, justice aux yeux bandés, et la devise gravée « Rem tene, verba sequentur ». Hm, Rem tene, verba sequentur, murmurais-je, soudain plongé dans des abysses de perplexité (et perdant ipso facto dans la foule mon tout petit) rem tene, verba sequentur c’est pas très facile. Rem, la chose, verba le verbe. C’est une université qui amène aux métiers de la communication. Si tu tiens la chose, le verbe suit. Des esprits gaulois que je connais s’enfonceront immédiatement dans une direction inappropriée, ça les regarde. Me revint alors ce vers de Nicolas Boileau : Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement Et les mots pour le dire arrivent aisément Rentré chez moi, je lis la suite, puisque le gaillard poursuit Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain. Et puis encore : Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez; Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. Et d’un coup Nicolas est sur le deck, un morito à la main, il me tance : Tu ne polis pas, tu n’as même pas d’ouvrage, encore moins de métier, tu ne te hâtes pas, tu te précipites, tu clapotes furieusement sur ton clavier : Tu es un méchant écrivain. L’emperruqué prend ses aises, bien tiens, Nicolas, un autre morito peut être ? J’aurais bien aimé voir la tronche de ta ta page Facebook par exemple. Toujours est-il que je m’apprêtais à faire part de ma découverte à l’infirmière de l’autre côté de la table, quand elle m’interrompt « Avez-vous rempli le formulaire médical ? » d’une voix d’infirmière qui ne souffre pas d’atermoiements. Je passe la balle : « Thibault, as-tu rempli le formulaire médical ? » d’une voix paternelle qui ne souffre pas d’atermoiements. Thibault se retourne pour à son tour. Personne. Nous voila donc sur un coin de table à se remémorer les scarlatine, rougeole, jaunisse et diarrhées diverses pour finalement rendre une copie raturée, sale, D. La magie de l’éducation à l’américaine vint alors à notre secours, et plutôt qu’un rictus malveillant notre copie est accueillie d’un grand sourire, voilà, excellent, tout est « all set », mais n’oubliez pas d’aller voir votre docteur (puisque ça fait maintenant 4 mois qu’on vous le demande). Ces gens là me reposent, quelquefois. Me voila encore une fois pris en flagrant délit de dérapage épistolaire, puisque, tu vas rire, je n’étais pas du tout venu t’entretenir de Curry College ce soir, mon lilas noir, mais bien plutôt du funiculaire de Pau. Je ne me souviens pas bien à quel moment les connexions ont fourché là-haut, mais est-ce si important ?
Quand je serai grand je serai le conducteur du funiculaire de la ville de Pau. Trois minutes de montée, trois minutes de descente. Ma vie sur un rail, comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? De la gare de Pau, tout en bas, au boulevard des Pyrénées, tout en haut, un voyage d’une lenteur folle, une hypothenuse champêtre au-dessus des arbres au cœur de la ville. 26 mètres de dénivelé en trois minutes, on frise le 6km/h, on se grise, d’une brise. Durant les heures de travail, je pourrais, et pourquoi non, m’adonner à mon passe temps favori, et me mettre à une nouvelle série épistolaire qui décrirait les passagers de mon « Little Engine that Could » (référence à un livre culte des 4-6 ans américains. Je te le recommande). Evidemment, ma plume trainerait sur des seins légers, des tenues légères, des sourires légers. Les francais sont grognons, pessimistes et cyniques mais ils sont surtout très belles. A peine sorti de l’aéroport Charles De Gaule, ca saute aux yeux. Ca saute de partout d’ailleurs, des pétales de fleur qui jaillissent dans un metro bondé, qui éclaboussent tout le monde d’un sourire gracile, d’une virevolte. Ça fait dix ans que je traverse l’océan, je n’en reviens toujours pas.
Dans ma fourgonnette qui penche, j’aurais également le temps de lire. De lire le papier que je vais te parler. dont, peut-être, dont je vais te parler. Je dois dire tout de go que ce papier m’a énervé. Le type qui l’a écrit m’a enlevé les mots de la bouche, et n’était ce mon éthique irréprochable, je ne mettrais aucun italique, et m’approprierais sans ciller les mots ci-dessous. La question abordée est celle du fameux malaise français. Nous eûmes, fut un temps, la question du French Paradox, ou comment font ces sagoins pour bâfrer des magrets toute la journée, rester mince, et mourir à y’a pas d’heure. Je digresse, mais la bonne réponse, c’est : le vin. Des sommités de la biologie moléculaire se sont – sans rire – penchés sur le problème, ont analysé des litres de pinard sur des colonnes de chromatographie, et – il y a un probléme, il y a une solution – prétendu, quelques temps que la solution venait du resveratrol, polyphenol du raisin qui resolvait tes problèmes de mémoires, ton cancer du colon, et aussi ton gros bide. Il est bien sûr impensable pour ces gens d’imaginer que de manger trois fois par jours, en regardant passer les jolies filles dans la rue ajoutait dix ans de vie à n’importe quel vieux bougon. Je reviens à mon papier. Voila ce que le monsieur disait : Les Français vivent de leur malaise un peu comme les Britanniques vivent de leur famille royale. C'est un tour de passe-passe commercial, où l'affectation joue un rôle, un objet de fascination pour les étrangers plutôt qu'une condition inquiétante… Dites à un Français qu'il fait beau, et il vous rétorquera que ça ne va pas durer. Cette humeur revêche est plus une forme robuste de réalisme qu'un signe de malaise. C'est l'amertume de la sagesse. Aucun autre peuple ne sait aussi clairement hausser les épaules." Pour expliquer notre sinistrose, il invoque notre système scolaire. Toujours prompt à attribuer des notes médiocres, il aurait fini par saper la confiance des jeunes Français, quand les Anglais, confiants comme chacun sait, "ont l'habitude d'être félicités pour leur intelligence supérieure même s'ils n'ont rien dans la tête",résume le Daily Telegraph. "Le malaise et l'ennui sont à la France ce que le dynamisme est à l'Amérique : un emblème arboré avec fierté", conclut-il. L’amertume de la sagesse, j’adore. Les Shadoks, par la voix de Claude Pieplu, avaient résumé l’idée sous une autre forme : S’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème. Proposition vertigineusement philosophique, métaphysique : nous allons tous mourir (il n’y a pas de solution), mourir n’est donc pas un problème. Et si mourir n’est pas un problème, c’est quoi le problème ? D’autres malins, beaucoup moins drôles que les Shadocks, proposèrent également qu’une question (un problème) n’était scientifique que si on pouvait y répondre. L’existence de Dieu est donc tout sauf scientifique, puisque si je prouve scientifiquement que Dieu existe, Il n’existe donc plus, ou au minimum on doit lui virer sa majuscule. Et voila, tu t’es endormie. J’en étais sur. Quand on me lance sur les Shadoks, j’en fais des tonnes. Ca tombe plutôt mal, voila trois chroniques qui passent, et jamais n’ai-je pu caser un fatraque d’idées saugrenues qui, bien mélangées, démontrent, sans atermoiements possible, que Barry Lindon est le plus grand film de tous les temps. On peut invoquer Stanley Kubrick, Thackeray, Marisa Berenson, mais finalement c’est Schubert qui gagne, la sarabande de Schubert. Elle te prend par le col, elle t’emmène au cœur de l’histoire de ces gueux, de ces guerres, de ces vies écrasées. Il y a quelque chose de martial, d’inexorable, la folie de la guerre, les fifres qui masquent la boue et le sang.
Quelque fois je me dis que Nicolas à raison. Je ne remets rien sur l’ouvrage, je me fous de tout, je m’éparpille, je perds courage trop vite. De fait je ne perds rien, je n’ai jamais eu de courage. Même pas celui de t’embrasser.
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