Je trouble le miroir, complice de la quenouille du temps qui file les rides, comme file le rouge sur les lèvres qui s’affaissent. Pirate des lendemains, j’en déduis les hier, divise l’avenir, additionne les doutes, multiplie les questions… Je plane dans la ruelle, quand l’obscurité pèse, et que le réverbère fait danser les ombres inquiétantes. J’accélère votre pas qui maudit chaque bruit, tandis que le poil se hérisse. Alors, je ruisselle sur l’échine dans une coulée froide. Je tonitrue et résonne dans les salles d’audience, pour verdict en attente. Entre mes doigts, je froisse et triture l’espoir ou les doutes. Je décide des couleurs, noircis ou éclaire les avenirs, excite les esprits. Un pied sur chaque plateau de la balance, je me joue de la Justice. Je suinte, invisible mais palpable, dans le blanc silence d’une chambre, au chevet de l’être aimé. Suspendue aux lèvres du médecin, je retiens votre souffle et insuffle mes miasmes pour mieux me diffuser... Je tricote nerfs et émotions, et habite les sanglots retenus à grand peine. Je transpire sous le feu des bombes et dans l’air ; dans les gaz qui tuent ; dans le vacarme de la guerre ; dans la nausée qui monte à la bouche ; dans les yeux ébahis en quête de secours. Je n’ai qu’une bataille, je m’oppose à l’espoir dans le bruit des mitrailles. Je flotte derrière les murs, et les portes blindées, dans le calfeutrage à toute humanité coupable de différence. J’établis les distances, je flatte l’ignorance, c’est elle qui m’alimente. Je suis l’âcreté qui transpire, la puanteur du mépris. Tour à tour nœud dans les tripes, béance dans les entrailles, cri étouffé, sursaut… j’étreins, taraude et tenaille. Partout je m’immisce pour noircir les jours et blanchir les nuits. Je sens la honte, la sueur, le sel, et la pisse. Je suis la Peur, et je me porte bien. |
La vie est un immense ring dont on ne sortira pas vainqueur, et les coups, et la peur au milieu .... Bravo pour ce texte, j'admire sans réserve !