Il y a maintenant longtemps, des miens amis, inconscients mais pressés, m’avaient demandé de m’occuper de leur maison, qu’ils laissaient derrière eux, partant ventre à terre à Montréal, gagner des montagnes d’argent, déblayer des montagnes de neige, et accessoirement, apprendre le québécois, langue tout autant sympathique qu’incompréhensible. Personne n’est parfait, je me tue à le dire. Muni du trousseau de clés idoines, il s’agissait de vérifier régulièrement que l’eau ne gelait pas dans les tuyaux, que le bar était toujours là, et également de tailler une bavette avec le voisin, Tim, garçon tout autant sympathique qu’incompréhensible. Autant de taches nécessitant persévérance, précision, régularité, ensemble de marchandises que mon misérable étal en rupture de stock chronique ne propose que rarement au chaland. Mais dans l’urgence ils n’avaient trouvé que moi : - Mais chéri, on ne va pas demander au dingue de vérifier l’eau, il va foutre le feu. - Ce garçon est un peu gougnafier, mais je pense qu’il est temps pour lui de prendre des responsabilités dans la vie, je suis sûr qu’il va nous surprendre. Muni de cet ausweis et du trousseau de clés, je m’exécutais et passais quelques samedis à visiter ce que bientôt j’appelais le château, référence à une propriété de mon aïeul, elle aussi gardée par un mongolien autochtone. Tu me connais, quand une tâche devient répétitive (c'est-à-dire quand elle se répète plus de une fois), je n’en peux mais, je m’évade, je m’enferme à double tour dans ma calebasse, et me mets à imaginer un ORPA Normant : Officier de Réserve Pharmacien des Armées Normant. J’ai donc, à défaut d’aider cette famille maintenant canadienne, pondu quelques rapports, me prenant pour un officier de l’Armée française, qui, si elle n’eut à me supporter que 12 mois, doit encore se souvenir de mes invraisemblables bourdes au Val-de-Grâce, où, lorsque j’étais de garde, les pipis des ministres se retrouvaient plus fréquemment qu’à l’accoutumée tout mélangés, sans code barre, sans Personal Identification Number, la chienlit. Je me souviens qu’alors avec Georges, un mec du Cantal avec assez peu de dents sur le devant, nous redonnions une identité à nos pisses en les jouant au dé sur la paillasse. Mais je m’égare. Reprenons. Toujours à la pointe de l’innovation et de la nouveauté, je déverse aujourd’hui mon babil sous forme de tableau Excel, bien pratique pour organiser toutes ces invraisemblances. J’ai organisé le tableau, c’est pas le bordel, et surtout, surtout, ça dépasse pas. Chaque ligne représente un lieu, chaque colonne une remarque. Si tu ouvres le fichier que j’ai attaché au sparadrap à cette missive, tu pourras lire 4 rapports, un par semaine, en cliquant sur chaque onglet en bas de la page. Je devrais en fait vivre dans un tableau Excel, ça m’aiderait à retrouver mes clés de voiture. T’embrasser ? Mais t’embrasser ma loutre, c’est comme vérifier le niveau d’eau : une manipulation complexe nécessitant une grande coordination, un esprit d’anticipation et un optimisme (sera-t-elle toujours là quand j’approcherai mes lèvres ?) qui me font chroniquement, maladivement, défaut. |
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