“L’histoire de tous les gens qui écrivent c’est qu’y sont pas bien dans la vie, quand vous jouissez de la vie pourquoi la transformeriez-vous, hein ?” C’est du Céline, évidemment. Cette citation m’a – on le comprend – un peu secoué. Pourquoi en effet, s’acharner à écrire, à transformer, à tripatouiller, comme un mauvais mécano, sous le capot de ma petite histoire ? Pourquoi me produire sur les planches disjointes de ce journal imbécile affublé d’un nez rouge granguignolesque et franchement pathétique. N’aurais-je pas dû, écrasé du silence assourdissant et gêné de mes rares spectateurs, remballer mes crachouillis depuis longtemps ? Je me suis pris, quelques temps, à espérer que tout cela n’était pas réel, je n’ai jamais envoyé la moindre note, tu n’as jamais rien reçu, rien n’a jamais transpiré. Ils ne savent pas, dehors: je n’écris que dans ma tête. Je fais tellement de choses dans ma tête, ça ne m’étonnerait pas. A propos d’écriture, et pour ne pas changer tout à fait de sujet, nous nous sommes déjà penchés sur cette incongruité : je n’écris jamais autant que lorsque j’attends. Comme si, déçu du filet saumâtre, de la maigre pitance, que mes yeux ramènent dans ces moments d’inaction, mon cerveau ouvrait grand l’arrosage automatique et inondait mes synapses d’instantanés colorés, imaginaires et excessifs. Il se trouve que je suis souvent à attendre, chez un dentiste, aux urgences, dans le métro, à l’aéroport. Je me suis récemment trouvé dans un de ces moments de grande solitude, c’était sur le parking de Barnes and Noble, la FNAC de par chez moi. Mon adolescent de fils m’avait conduit prestement, sans erreur flagrante, je passe sur la queue de poisson à une dinde octogénaire qui déambulait sur l’autoroute, littéralement enfouie dans le siège de son veau marin, et sans doute ivre des 25km/h de sa Buick. Au moment de repartir avec les emplettes que nous n’avions pas faites, non monsieur, le livre n’est pas disponible, je me transforme en moniteur d’auto-école, clé - ceinture – rétro - frein à main. Mon cadet embraye la marche arrière lorsque ma jument verte éructe un son guttural, rauque, venu du tréfonds de ses intestins métalliques. Et puis un sifflement éloquent, comme une cocotte trop longtemps sur le feu et un liquide vert fluorescent qui s’échappe de sa culotte et s’écoule sur l’asphalte brûlant. Une mare fluorescente. Pas bon. J’appelle donc mon dépanneur préféré (Bob, c’est un ami maintenant) et j’attends. Me voilà donc reparti tout au fond de tes grands yeux noirs, sur ce parking dont le goudron tremblote sous la chaleur de juillet. Dans mon taxi pour Tobrouk, mes dernières vacances en Amérique sont remontées à la surface, non, je ne sais pas pourquoi, arrête de poser des questions. L’été dernier, alors que mes finances titubaient au bord d’une athrepsie inquiétante, je me suis efforcé de suivre un de ces adages complétement con qui pourtant me revenait à l’esprit comme l’odeur de lait caillé après le rot du petit. L’adage, donc, “faire contre mauvaise fortune bon cœur”, ainsi que mon banquier, m’encourageaient fortement à abandonner les rêves de datcha à Saint Martin pour imaginer des vacances dans le Maine. Dans le quoi ?? Me redemandèrent plusieurs fois mes enfants. Le Maine, c’est le froid canadien, la pluie bretonne, sans les crêpes, sans le chouchenn, un Etat américain très. Très à l’est, dangereusement au nord, trop près des phoques et terriblement propice à la reproduction des Mooses et des moustiques. Les premiers habitants de ces régions inhospitalières, rudes et sauvages comme disent les guides, les fameux Ogonquits étaient des algonquins joviaux, des hommes sages qui ne versaient le sang de quelques phoques que très épisodiquement, on les a dit très maladroits, ce qui n’a pu me les rendre que d’autant sympathiques. Les Ogonquits. Paisibles poètes, j’imagine les noms de leurs chefs, hilares et grassouillets, Cépamoikafépfuit, Oputélabelecuit. Malheureusement ces professionnels du bonheur et de la joie de vivre avaient comme voisins des petites frappes du Grand Nord, des teignes, les Mohawks qui enfonçaient la tête des gens à coups de hache, sans penser à mal, peut-être, mais quand même. Nos Ongoquits disparurent donc, soumis, détruits par des crétins en slips qui – bien fait pour eux – subiraient un sort équivalent après avoir aidés quelques Pilgrims à moitié morts de faim à la sortie du May Flower, une carcasse plus qu’un bateau. Cet acte de charité célébré chaque Thanksgiving, devaient leur valoir l’extermination. Essayez d’expliquer les principes humanistes à vos enfants après ça. Bref. Le Maine, me disais-je, c’est bien, parce que c’est frais. Et à Boston en juillet, on ne peut réellement parler de fraicheur. Me voilà donc à rechercher une villa-piscine avec un deck en acajou tropical et sise dans le Maine que je pourrais louer pour une bouchée de pain. Après avoir éliminé tout espoir de datcha, je me porte électroniquement acquéreur d’une semaine dans une “Boat house” au bord de la mer, dans le Maine, quand même, pour une bouchée de pain d’une taille substantielle (ils font des pains gros comme ça dans le Maine?). Me voilà donc parti au volant de ma nouvelle Prius gris perdrix, cap au nord. Le Maine c’est bien, mais c’est loin. Après de nombreuses heures à suivre patiemment un ruban d’asphalte ostensiblement délimité par des pointillés titubants, nous voilà sur la départementale qui s’enfonce lentement dans l’Amérique profonde comme un suppositoire pas assez frais. On s’arrête à un relai routier, une cabane, qui propose des cafés tellement dilués que tu vois le fond de la tasse. Le soleil se couche, et j’aimerais bien en faire autant. Pour se faire, il me faut du silence, un scotch, et il me faut un lit, si possible à l’intérieur d’une boat house, si possible sise au 172 bayside road, au sud d’Ellsworth, comme décrit sur le prospectus. Au 172 de bayside road, il y a bien une maison mais dont le jardin ne donne absolument pas sur la mer, une maison fermée, verrouillée, pas de latinos pour nous accueillir, la chienlit. Nous poursuivons donc notre route le long de Bayside Road, de toute façon, rapport au réseau routier, y’a pas un choix fou. La nuit prend ses aises, mes phares fouillent un futur incertain. La nuit, c’est comme l’indifférence, peut-on jamais savoir par où elle commence et où elle finit ? Arrivés au bout de la route, nous voilà au milieu de nulle part. Au milieu d’une bourgade tellement diluée dans la nature que finalement elle aurait dû s’appeler indifférence. Evidemment, c’est pas très vendeur, pour une station balnéaire. Mais voilà une enseigne “la queue homard”, le Lobster Tail dans le texte, qui extirpe notre moral des chaussettes où il avait trouvé refuge. Le restaurant est fermé mais le motel adjacent et crasseux nous fait des clins d’œil de ses néons poussifs. Anthony Perkins et Psychose ne sont pas loin, ça sent sa tronçonneuse à cent pas, mais j’ose je pouiiiiiiiiisse la porte. Un cadavre me regarde. Sa femme aussi. Sa fille moins, elle regarde les chiffres et les lettres à la télévision, mais je ne regrette rien, elle est d’une laideur stupéfiante, vraiment étonnante. Un truc à douter de Darwin. Mais elle non, Darwin elle s’en fout, et puis visiblement elle t’emmerde, alors. - Bonsoir, Voilà, Sir, Madam, je suis un peu perdu, hm? Français, oui, et je me demandais si, exactement, une chambre, peut être deux … oui, une seule, très bien, pour la nuit, en cash? Maintenant? Et pas de ? Entourloupe. Absolument, 120 dollars me semble tout à fait… je ferme ma gueule ? Encore une fois mes qualités de diplomate et de négociateur viennent aisément à bout d’une famille de débiles mentaux. Heureusement ils me fournissent une clé, cric-crac-croc dans ma maison, si jamais tu ouvres cette porte, connasse, Thomas te viole sur le lino, ça va calmer les quelques chromosomes en trop que tu trimbales. Manger, donc. Du homard. Le restaurant est fermé, mais dans le mini-market de la station-service il y a du homard, c’est indiscutable. Depuis combien de temps le décapode traine-t-il dans le rayon ? C’est beaucoup moins clair, le plastique jauni ne permet pas de précisément distinguer. Ce qu’il permet de voir par contre, n’emballe pas ma portée (tu veux qu’on mange ça ?). Après une nuit toute baignée d’odeurs de hamburgers froids, le jour tapote à la fenêtre. Il est venu avec un ami, un petit crachin breton, timide et têtu. Le Maine, te dis-je. On apprendra plus tard que tout ça c’est la faute à Margaret, la secrétaire. Elle est enceinte de son premier, elle ne mange plus que des carottes, elle en met partout, elle mélange toutes les fiches, elle chantonne toute seule. Le Boat House, il est au 1072 Bayside road, pas au 172. Les vacances, ça me fatigue. Je ne t’embrasse pas, je suis dans Céline, jusqu’au cou : « L’homme il est humain à peu près autant que la poule vole. Quand elle prend un coup dur dans le pot, quand une auto la fait valser, elle s’enlève bien jusqu’au toit mais elle repique tout de suite dans la bourbe, rebecqueter la fiente. C’est sa nature, son ambition, Pour nous dans la société, c’est exactement du même. On cesse d’être si profond fumier que sur le coup d’une catastrophe, quand tout se tasse à peu près, le naturel reprend le galop ». Quand on est dans du Céline, tu comprends bien qu’on embrasse pas. |