Catherine Estrade



                 Passage à l'acte



 
Même la rencontre avec elle n’a plus de goût. Il regarde ça avec le recul d’un critique sur une toile incongrue.
 
Elle avait des jambes visibles et longues, un sourire prometteur et des accents de Marylin dans la voix.
Et il était seul depuis trop longtemps, jachère obligatoire après chagrin d’amour.
 
Ca avait été facile, quelques flatteries parsemées, un repas en tête-à-tête sur une péniche de fortune où les bougies nous trompent sur la lueur des iris, une flânerie nocturne sur des champs magnétiques et des aurores aux allures de symphonies. Elle avait laissé les mains se calquer à sa peau, laissé les corps se fondre dans une danse sans rythme. Lui, avec cette froideur, cette marge qu’il sentait rassurante, l’avait enfermé dans le désir qu’elle avait, qu’il l’aime.

 Mais il ne l’aimait pas. Il lui avait dit le contraire pourtant quand elle insistait, il avait joué, elle aussi sûrement, elle à croire, lui à dire.
 
Ses pas de ce dimanche lui paraissaient neufs et vivants, les stigmates sur la pelouse et les brins de verdure qui se tordent et se déplient, la pâleur entière de la rue et les restes de matinée.
C’était blessant de penser à ces années qui n’avaient pas été, ces années de faire semblant de rire, faire semblant de croire. Ce qui l’était encore davantage, c’était le réveil, l’étirement des âmes qui se tendent sur le dehors.
 
Il avait déjà eu de ses attraits vers le vouloir vraiment, vers une lumière de fond du tréfonds de lui, mais il avait fait demi-tour, la souffrance trop forte, la peur trop grande.
 
L’herbe sous ses pieds aujourd’hui n’avait pas la même odeur, il savait que le retour serait impossible et l’allégresse qui était sienne à cet instant le déplaçait de l’écart de ses silences à la chaleur de ses soifs.
 
Il devrait rentrer, regarder Dolorès et lui dire. Ca ne l’effrayait pas, il voulait seulement saisir au passage toutes les grâces de sa lucidité, l’ancrer en lui, la faire sienne jusqu’au trop-plein.
 
Plus d’échappée, plus de concession, plus de mascarade, définitivement axé sur des spirales à lui, une ouverture sans roulement de tambour, une porte se dessine dans le mur franchit. Il se retourne et voit l’entrebâillement, il est passé de l’autre côté.
Il faut avancer dorénavant dans les brumes d’un rêve que la réalité ne reconnaît pas.

 
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