Mon corps colle au soleil. Je cours très vite vers l’horizon brisé, vers l’impression salée qui me sèche. Je cours très vite vers le vide pour surprendre la mer. J’entends, appuyées aux versants rocailleux, les cases pointues me murmurer qu’ici l’océan est mort depuis longtemps et que l’écume a fui la raideur écorchée. La roche se livre à moi en précipice vivant. Les falaises vertigent mes certitudes. Etourdie, éblouie de manque, je reviens vers des équilibres probables. J’écoute mon souffle retrouver sa sérénité syncopée. J’adhère à l’air, aux sifflements des rocailles. Ne plus bouger, ne plus penser, ne pas laisser mon existence tapageuse abîmer mes sens sur les vagues sableuses. Ne plus toucher, ne plus goûter. Je m’accroche aux ailes des corbeaux noirs et blancs. Ils croassent leur colère, bataillent contre le vent qui les rejette en rafales. Ne plus exister qu’à travers leur cri, juste subir avec eux la route perturbée de l’Harmattan. Accepter ma mémoire ; d’autres corbeaux, d’autres végétaux, d’autres granits.
Je m’envole. Du bleu où j’ondule, je me vois, blanche enveloppe abandonnée, assise, inerte, écrasée sur le sol. J’exulte. Affranchie de ma chair, je lâche mes voilures aux synopsis futurs :
Les Dogons des falaises rejoindront le village du plateau, ils échangeront une noix de cola, un sourire, une interrogation. Les fillettes curieuses approcheront, regards intrigués, la dépouille endormie. Alors, je rallierai ce corps réchauffé au fer du soleil. Je renoncerai au sillage désordonné des oiseaux, au visage éraillé de la pierre, pour suivre, léthargique, les jeunes femmes rieuses. |