Audrey Soulié

                             
 
 
Sonnets Libres

Facile.


Le temps qui ne savait que fuir s’est suspendu


Il coule désormais simple nu volatil
 

Comme le sable et l’or il caresse docile


La peau dans le soleil et l’oiseau dans les nues


 

Le temps qui ne savait que fuir s’est suspendu


Les jours sont clairs et gris profondément futiles


Un deux trois dix issues la course est inutile


Restent là les déserts et mes lèvres mordues


 

Un miracle un soupir un don qui court la rue


Comme un chant malhabile un menuet têtu


Un élan trop soudain pour que l’on ose y croire


 

Si c’est cela la vie je lui donne mon dû


Et tout mes souhaits mes riens jusqu’à la lie du soir


- Le temps qui ne savait que fuir s’est suspendu.


 




 
À Solveig.

 
au creux de la poitrine une lézarde infime
impose sa rigueur et t’édicte sa loi
 
et le manque de souffle à la vie qui t’échoit
et la peau se déchire et la ferveur s'élime
 
la lézarde grandit le déduit s’envenime
sous elle il n’y a rien qu’un creux qui n’est plus là
 
palimpseste gratté sous le cuir pas d’éclat
que des chairs altérées des insolences intimes
 
ici il n’y a pas d’eau pas d’air et pas d’odeurs
pas non plus de tabac de sens ou de couleur
 
et les plus beaux miroirs sont ternis sans éclats
même le sable est froid ma mie il faut partir
 
et même les aimés – c’en est fait tu vas fuir -
ne peuvent altérer ton grand cœur qui se noie.

 
 


























                      
















 




















Ce qui n'est pas à nous.


Au fond de l’océan chante l’histoire ancienne

Une histoire de gouffre et de marins hâbleurs

Qui remonte parfois des lentes profondeurs

Comme un chemin de ronde ou comme un capitaine

 
Au fond de l’océan s’enveillent les antiennes

Chargées de pas trop grands de fantômes moqueurs

De légendes bruissant de triviales splendeurs

De folies respirées d’éphémère pérenne

 
Que faire des baisers des gifles des morsures

Comment compter les pas les sauts les encablures

Du temps qu’il faut enfin pour sécher le sanglot

 
Que faire des vieux ports royaux et sémantiques

Que faire des échos du vivre cahotique

Sinon un peu de vent qui pousse dans le dos ? 



 
Jamais n'abolira.
 

désarmer les orgueils les blessures anciennes

qui saignent par endroits qui fanent le ciel clair

défaire les parfums oubliés les éthers

idéaux menaçant le pas - Que la nuit vienne.


dérober l'eau le feu repousser les persiennes

à l'obscur du plein jour envoyer loin l'hiver

délier de nos corps les cages et les fers

courir un peu plus fort que soi - Que la nuit vienne.


désirer la ferveur le faste et l'indocile

dévoiler les terreurs les lourdeurs imbéciles

déchirer les vieux mots jusqu'au dernier combat


débrider les élans le beau et l'inutile

dévider l'écheveau de nos pensers fragiles

démêler ce qui peut froisser ce qui n'est pas '




 
From the morning.


L'eau verte du canal et que la glace effleure

A livré ses atours aux rives de la nuit

Elle se fige immobile et presque noire elle gît 

Et semble ces enfants qui plus jamais ne pleurent

 
La folie. Mais dessous c'est la marée des heures

Qui pousse son reflux comme l'âme frémit

Qui chante sourdement les en allées enfuies

Le remous insoluble et la vie qui s'affleure
 

Et les trottoirs luisants et les lueurs s'y glissent 

Et la brume s'en vient à la statue complice

Et la lune endormie lui murmure un secret
 

Les pas jouent à son bord un petit rien fugace

Dont le cœur se souvient et jamais ne se lasse

Que le matin promet.



 






























 






































 
Le Veilleur.


Un pied dans l’air du soir et l’autre on ne sait où

Son geste se suspend comme au bord de l’averse

Rêvant d’on ne sait quoi le cœur à la renverse

Et ses cheveux défaits dans les gueules de loups

 
Un pied dans l’air du soir et l’autre on ne sait où

Il semble sommeiller d’un œil qui vous transperce

Sous le masque cruel à demi mot il berce

Le combat silencieux des tyrans et des fous

 
Il voit il imagine il invente et il crée

Sans doute rien de bon ne naîtra de l’orage

Que diable allons dit-il allons noircir la page

 
Allons froisser les morts allons les réveiller

Et c’est moi que je croise aux reliques qu’il gomme

C’est ma peur qui nourrit le masque des fantômes

 
- Il rit.



 
 
Child.


Tout au bord de l’allée l’enfant suit le chemin.

Fatigué, cœur rompu des morsures du ciel,

- Trois fois le chant du coq - trois fois le goût du sel

Dans sa bouche. Un désert dans le creux de sa main.

 
Entre les lignes bleues d’électriques lointains

Il tend le bord des yeux, il s’envole, il épelle

Tant d’ineffables mots - il sourit - puis chancelle ;

Il tombe, il se débat - qu’importe : il n’est plus rien.

 
Et penché sur une eau et trop vive et trop claire,

Dans son chant qui tressaille, il essuie sa colère.

Tout seul dans le miroir éperdu, sans filet,

 
Ecrasé d’un sursaut splendide et misérable,

Il rejoint le vaurien, le poète et le gué

- Cohorte abandonnée des grands indésirables -


 
des folies et des fées. 

 
 
Foi.


Se cogner aux terreurs comme à des coins de porte

Ne plus savoir marcher que l’amour à la main

Et les yeux bien ouverts déchirer les écrins

Qui nous lissent sans bruit – que l’ennui les emporte
 

Se cogner à ces peurs que le diable colporte

Du premier compliment au dernier des bons points

Et les clouer au ciel dans un revers de faim 

Sous les yeux des étoiles et des morales mortes
 

Et se cogner le cœur et déchirer les masques

Apocryphes bruissants du ma au dernier mot

Dansant leurs évangiles au coin de nos berceaux
 

 - Et je bénis la vie de vos émois fantasques

De vos pas, vos chemins, vos amours, vos bourrasques

Et je jette l’augure en offrande au tombeau.


 
 
Prière.
 

Au ciel qui crie si fort le vide qui l'encombre

Au vent aux mers au feu à la lune qui vient

Aux hommes qui entendent aux trop droits au vaurien

A leurs rêves foulés à leurs mots à leurs ombres

 

A la menace belle aux yeux vides au coeur plein

A l'espoir qui jaillit comme un rien des décombres

A l'oiseau à l'enfant à nos pas fous dans l'ombre

A l'étoile noyée qui s'endort en chemin

 

J'adresse la prière nue des vagabonds.

Vivez ! Ce soir encor la mort a fait faux-bond !

Eparpillez vos coeurs en lucioles ! Lumières

 

De vos rires, naissant au bord du désespoir...

Qu'ils secouent leur désir perdu -comme un mouchoir !

Moi, lèvres contre peau, je tremble tout entière. 

 























































































































































 





 

 
 
 



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