Oyez, oyez, braves gens, gentes dames, damoiseaux, garces et vilains, avis à la population : la psychanalyse a tué la littérature. Le meurtre en lui-même ne date pas d’hier, et si j’écris encore aujourd’hui, c’est essentiellement dans le but d’en retrouver la date, et de m’épancher un peu sur ce que fut sa lente agonie. Ce faisant, me direz-vous, je fais la part belle à l’assassin. Certes mais l’ennemi ne se détruira que si je le débusque. Disons-le clairement, je résoudrai le meurtre par un autre meurtre, et je veux que par ces mots inutiles, abscons et aussi sournois que je le suis moi-même à mes heures perdues, la psychanalyse rende son dernier souffle sous la renaissance des lettres. Ce projet vous paraîtra sans doute d’une ambition démesurée. C’est exact. Une correction s’impose cependant. L’effet d’annonce de ce titre tapageur et faussement contestataire ne concerne pas la Psychanalyse ni la Littérature en général, paix à leurs âmes respectives et confondues, mortes toutes deux depuis trop de temps pour qu’il me vienne seulement à l’idée de les ressusciter. Non. Ce drame s’est joué en moi, et en moi seulement, et c’est bien assez. Qu’est-ce que la psychanalyse ? Voir Freud (ou ce qu’il en reste). Qu’est-ce que la littérature ? Voir Sartre (ironie). Ce sont les questions qui devraient présider à toute tentative d’essai (c’en est une, fi du pléonasme) sérieuse. Alors, disons que tout cela n’est pas très sérieux. D’autant que les grandes questions inutiles m’ennuient profondément, et que je ne m’estime pas assez qualifiée pour parler correctement de ce qui n’est pas explicable. Je vais m’en tenir à la seule chose que je sache faire : écrire une histoire. Une histoire avec des allégories, comme au bon vieux temps. Ce n’est pas si simple, pour la simple et bonne raison qu’on croit toujours que ça l’est. Il était une fois, dans un pays dont le lieu indéterminé se partage, paraît-il, en cellules, une drôle de princesse qui s’appelait Litté. Elle avait débarqué d’on ne sait où, une nuit, et son apparition avait calmé comme par magie les bourrasques terribles qui s’abattaient depuis plus de dix ans sur les pauvres autochtones désemparés. L’ambiance, disons-le, était alors pour le moins chaotique. Ego, comme on avait nommé le mur cylindrique central qui tenait toute la machine, était déjà sérieusement attaqué par les méchancetés odieuses de la tribu des Autrui, peuple mauvais et détestable s’il en fut jamais, qui s’ingéniait à envoyer ses émissaires lui donner de vilains coups dans les fondations, tandis qu’un certain monsieur Surmoi, d’autant plus dangereux qu’il était invisible et qu’on ne pouvait avec certitude définir sa nature exacte, et que même Moi, avec lequel on eût pu supputer une certaine parenté ne le connaissait ni de Laios ni de Jocaste, tandis que Surmoi, donc, s’amusait à lui cracher dessus violemment. Le pauvre Ego ne savait plus où donner de la brique. Après quelques tentatives malheureuses pour se cimenter, il s’aperçut que tous ses efforts n’avaient servi qu’à colmater les quelques brèches visibles de sa façade, mais que le gros de l’œuvre était bon à raser. Il allait abandonner, vaincu. C’est alors qu’il La vit. Elle. Litté le regardait en souriant. Touché par cette marque de tendresse peu commune à ceux de son espèce, Ego se senti fondre, et se dit finalement : « tant qu’à mourir, puisque mort il doit y avoir, autant le faire pour de beaux yeux ! » Et, ainsi exalté, il se laissa bercer par les mots étranges que la belle prononçait, douce musique pour Ego, habitué aux coups de pieds et aux crachats de ce monde cruel. Ego devint alors tendre et doux, ce qui ne convient pas quand on est un mur. Au vu de ce désastre, Litté (la princesse), décida de réveiller Ego, et se mit à le réprimander vertement et à se moquer de lui. Le pauvre Ego se disait que décidément, en ce monde, il n’y avait que des méchants, et qu’il fallait surtout se méfier de ceux qui n’en avaient pas l’air. Il bouda, et se retrouva aussi mal en point qu’auparavant, avec en prime un ennemi supplémentaire, Litté ne pouvant supporter qu’on la boude et qu’on ose se défier de sa clairvoyance et de son jugement. C’est alors que Psycho, une autre drôle de Princesse (encore une) sortit de son logis. Je fais ici une pause dans ce récit palpitant afin d’en ménager le suspense. J’ose espérer que vous avez bien lu entre les lignes, mais comme je n’en suis pas si sûre, je m’en vais vous aider un peu. Je tiens tout d’abord à préciser que les noms des personnages sont totalement fictifs et inventés. J’ai bien vérifié : ils n’apparaissent ni dans le Larousse, ni dans le Robert, preuve suffisante de mon honnêteté intellectuelle. Je tiens à cette absence totale de référence quelconque dans les noms des personnages, des lieux, et dans le déroulement de l’histoire parce que j’ai cru remarquer que les critiques divers adoraient trouver des similitudes profondes là où il n’y en avait pas, et j’ai voulu par cette originalité leur couper l’herbe sous le pied, préservant ainsi ma belle histoire imaginaire des interprétations oiseuses. La vérité (mais vous la connaissez si vous avez bien lu) c’est que tout ceci est une histoire d’amour. Je n’ai pas encore réfléchi à son issue, bien sûr, afin que la surprise soit aussi complète pour vous que pour moi. On a toujours plus de plaisir à lire un récit de voyage qu’une recette de cuisine –sauf si on a un gâteau à faire. Psycho, sous des airs faussement tendres et cléments, était une véritable peste, dont le jeu préféré était de vous manipuler sournoisement en prétendant vous comprendre. Litté, sujette (pauvrette) depuis toujours à une affection désastreuse qu’on nomme « interprétation sauvage », avait toujours craint que Psycho ne cherchât à décortiquer les mots qui composaient sa belle robe. Vous conviendrez qu’il serait inconvenant pour une princesse comme elle, ne tenant l’admiration de ses sujets que par le mystère, de se retrouver subitement toute nue devant les gens. Or donc, Litté, voyant son cauchemar approcher, s’enfuit à la vitesse que lui octroyaient ses petits petons et se cacha en un lieu tenu secret, nommé les « oubliettes ». Non pas en référence à l’oubli, comme on pourrait le croire, mais évoquant les friandises que mangeaient autrefois les pauvres. Litté est gourmande, mais se contente de peu. Notre pauvre Ego, tout triste, vit bien évidemment arriver Psycho comme la chance merveilleuse que la vie lui offrait enfin et était prêt à donner à sa nouvelle Princesse tout ce qu’elle voulait pourvu qu’elle voulut bien l’admirer un peu. Chose qu’elle faisait très bien, d’ailleurs, et de fort bonne foi. Heureuse de trouver de quoi s’occuper, Psycho, tout à la joie d’entreprendre ce complexé de cendrillon manifeste, décida de s’y mettre rapidement, corps et âme. Cet imbécile d’Ego se trouvait de plus en plus admirable, et ne s’apercevait pas que les bons soins de Psycho l’avaient métamorphosé en un sublime mais ridicule ballon de baudruche (je vous rappelle que c’est un mur, au départ, quand même). Psycho s’était décidée, au bout de quelques semaines de cour, à pénétrer l’enceinte d’ego et à y établir ses quartiers. Selon ses termes : « c’est quand même plus facile de réparer de l’intérieur ». Lorsqu’elle eut colmaté tous les interstices dont Ego était pourvu, elle s’aperçut (mais un peu tard), qu’elle était bloquée dans un corps qui n’était pas le sien, situation détestable s’il en est. Perdue, affolée et en colère, elle se mit à souffler, souffler, souffler comme un loup affamé. Ce qui devait arriver arriva : Ego explosa dans un capharnaüm de briques émiettées. Une fois leurs esprits respectifs recouvrés, Psycho partit dignement dans sa cape en traitant Ego de crétin, tandis que celui-ci, ramassant ses morceaux, lui tirait ostensiblement la langue. Ainsi finit leur amour. Ego se dit que pour avoir beaucoup souffert il en était un peu moins bête, et un peu plus modeste. Il reconstruisit tant bien que mal son corps de mur respectable, aidé en cela par diverses cellules ayant appelé à la rescousse leurs amis fidèles, les carpett’s d’Yem (trouvères parlant la langue d’oil), les tétoiquangjeuparleuh (troubadours parlant la langue d’oc) et les ouis (non, pas oui-oui, ouis, ou ouïe, c’est selon). Le résultat obtenu imageait un peu ces châteaux forts que les enfants (et les adultes aussi, mais ils se cachent) construisent avec des legos (ou logos, selon). C’est-à-dire qu’Ego était plein de trous. Sauf que ceux-là, c’étaient les siens, et qu’ils les aimait bien. Litté, enfin réveillée et qui ne boude plus, adore y jouer à cache-cache. Voilà. C’est fini. |