Audrey Soulié

                             

...
 

C’est dimanche.
Il flotte quelque chose comme des vacances.
Les voix sont libres et légères.
 

C’est la fin du matin, parce que le parfum du repas à venir me parvient.
Il est certain que c’est dimanche parce que ça ne m’angoisse pas, qu’il faille manger.
 

C’est étrange que ce ne soit pas vendredi, parce qu’il me semble que tout à l’heure, Pépé fera à ma mère son éternelle plaisanterie : un signe de croix à la fourchette au dessus de son steack presque pas cuit et, la voix sérieuse démentie par les yeux, “je te baptise poisson”.
 

Mais non, ce doit être un dimanche, peut-être de la semaine sainte, alors.
C’est le printemps, c’est sûr, à cause des tulipes.

 
C’est la fin du matin, ça sent l’apéritif, donc c’est dimanche.

 
Je suis assise à la table de la salle à manger – donc, on doit manger à la cuisine, - alors, il n’y a que Pépé avec nous – et je joue.

 
J’ai quatre ans. Ou cinq. Pas moins, parce que Pépé ne fume plus et que sinon, on serait à la petite maison. Pas plus parce que je ne sais pas encore lire. De ça je suis sûre mais je ne sais pas comment.

 
Il fait soleil et ça me réchauffe à travers la porte vitrée. Je ne me rappelle pas la nappe, peut-être il n’y en a pas, mais je ne vois pas non plus le napperon sous la soupière blanche et rose avec des feuilles vertes. Mais je suis assise sur la chaise à ressorts, parce que j’arrive bien à la table.
 

Je joue avec un orgue Bontempi gris clair que j’ai eu à Noël, je crois. Il est petit. Le bouton pour l’allumer est derrière, il est noir, un peu rapeux. Il faut bien penser à l’éteindre parce que sinon ça use les piles et qu’il y en a quatre (ou six) et qu’elles sont grosses.
 

Il n’y a pas beaucoup de notes. J’adore jouer avec. Puis pendant longtemps, j’oublie que je l’ai. Puis je le redécouvre quelque part, et je ne fais que ça toute la journée – va jouer dehors – d’accord, avec l’orgue. Je ne sais pas trop pourquoi on dit que c’est un orgue, sur les orgues, c’est pas pareil.
 

Je suis en train de chercher quelque chose que je ne trouve pas. Je me rappelle que ça ne m’énerve pas alors que pourtant, je cherche depuis un temps très long la même chose.

Le début je l’ai trouvé, mais je bloque à un endroit particulier.
 

Pépé dit que c’est bizarre, on dirait qu’elle joue vraiment quelque chose.
Qu’est-ce que tu joues ?
Tu sais, la musique que tu mets des fois, mais la fin, je n’y arrive pas.
 

Je recommence. Là, tu vois ?
Il entend.
Il n’y a pas assez de notes pour jouer celle qui te manque. Elle est trop haute. Il faut jouer plus bas, là. Quand tu seras grande, je t’en achèterai un avec plus de notes dessus.
 

Après, il a mis le disque, pour que j’entende la note.
 

Ce matin, je l’ai retrouvée.
 

...

 
 
 
 


 


 
 



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